Titre : Eye to Eye
Auteur : Sayana
Base : Gundam Wing
Genre : Fic écrite pour un concours, songfic, yaoi
Avertissement : Kaly a eu l’excellente idée (comment ça,
il est interdit d’influencer le jury ???) de lancer un concours inter-ML,
avec comme ligne conductrice : une fête ^^.
Disclaimer : Il n’y a pas grand chose à moi dans cette fic : ni
l’idée de départ, ni les personnages de Gundam Wing, ni
cette magnifique chanson des Scorpions (tiens, ça faisait longtemps ...).
Il n’y a en fait que le sujet ...
Note de l’auteur : La chanson que j’ai insérée
n’a pas beaucoup de rapport avec la fic, mais si je l’ai choisie,
c’est tout d’abord que je l’aime énormément
^^ ; et puis elle a été écrite pour les pères de
Klaus Meine et Rudolph Schenker (respectivement le chanteur et l’un des
guitaristes du groupe), donc finalement, dans l’esprit, elle correspond
au thème.
Pour ceux qui connaissent la chanson, j’ai légèrement modifié
l’ordre des strophes pour qu’elles collent un peu mieux au déroulement
de la fic.
Eye to Eye
A life begins another’s over
As another day begins
Life runs full circle getting older
It happens to me
It happens to you
Le taxi s'immobilisa doucement le long de l’accotement et le chauffeur
en descendit vivement pour ouvrir la portière arrière et aider
son passager à s’extirper péniblement du véhicule.
Le passager en question était un tout petit homme, frêle et semblant
très affaibli, l’affliction se lisant ouvertement sur son visage
fatigué. Lorsqu’il l’avait vu monter dans son taxi, le chauffeur
avait pensé intérieurement que cet homme n’avait vraisemblablement
pas été épargné par la vie et il avait eu presque
pitié de lui, ce qui expliquait son empressement actuel.
Une fois dehors, le vieil homme se tint quelques secondes sur le trottoir, faisant
mine d’observer le bâtiment face à lui. Il se trouvait devant
un petit immeuble blanc de trois étages, modeste mais chaleureux et accueillant.
Il leva les yeux vers le troisième étage justement, orné
d’un balcon agréablement fleuri, depuis lequel s’étendait
un magnifique rosier grimpant rouge qui formait une tache joyeusement colorée
sur la façade claire. Il se dégageait de ce lieu un tel calme
et une telle plénitude que, sans savoir vraiment pourquoi, l’homme
sentit des larmes d’émotion embuer ses yeux et il chancela légèrement.
Le chauffeur de taxi s’aperçut de son trouble et se précipita
vers lui pour le soutenir, craignant un malaise. Il lui demanda avec une ombre
d’inquiétude dans la voix :
- Ca va aller, monsieur ?
Ce dernier hocha vaguement la tête pour le rassurer et se dégagea
avec une étonnante fermeté de la légère étreinte,
sans dire un mot.
Le chauffeur haussa les épaules, un peu perplexe et désappointé,
et le regarda pénétrer avec beaucoup d’indécision
dans l’immeuble. Ils avaient convenu qu’il attendrait là
que le petit homme ait fini sa « délicate visite », selon
ses propres mots.
L’ascenseur s’immobilisa au troisième étage et le
vieil homme se dirigea d’un pas incertain vers la porte située
à sa droite sur le palier. Celle-ci était décorée
d’une jolie plaque colorée dévoilant le nom des habitants
du lieu aux visiteurs : « Heero Yui & Duo Maxwell », sous laquelle
avait été rajoutée une plus petite indiquant « Mika
Yui-Maxwell ». L’homme sourit avec tendresse à la lecture
de ce dernier nom. Il sentit revenir en lui un peu de son courage envolé
précédemment et se décida enfin à s’avancer
après un long moment d’hésitation. C’est le coeur
battant à tout rompre, tellement il redoutait l’accueil qu’il
ne manquerait pas de recevoir, qu’il appuya sur la sonnette, déclenchant
un gai tintement.
La porte s’ouvrit à demi, révélant un homme brun
aux cheveux en bataille, qui fixa d’abord avec étonnement puis
avec colère le petit homme rabougri qui se tenait devant lui.
- Vous n’êtes pas le bienvenu, ici, lâcha t-il en desserrant
à peine les dents, un regard austère dardé sur le visiteur.
Celui-ci sentit son coeur se serrer sous le ton plus que polaire du Japonais.
Il s’attendait à ce genre de réception, il s’y était
même longuement préparé. Mais cela lui faisait malgré
tout extrêmement mal.
Une voix se fit entendre par la porte entrouverte :
- Heero, qui c’est ?
L’interpellé ne répondit rien, se contentant de siffler
entre ses dents :
- Vous feriez mieux de vous en aller, je ne veux pas qu’il vous voie ...
Mais il était trop tard. Curieux et vaguement intrigué de n’avoir
pas reçu de réponse à sa question, Duo ouvrit la porte
en grand et se figea en découvrant le visiteur :
- Professeur G ?
Une expression de joie furtive passa sur le visage de ce dernier à la
vue du nouvel arrivant, mais il s’efforça de la masquer aussitôt,
se contentant de répondre d’une voix qu’il voulait neutre
:
- Bonjour, Duo.
Ce dernier ne lui rendit pas son salut, se contentant de le dévisager
froidement de la tête aux pieds, avec une hostilité telle que plus
d’un se serait estimé vaincu. Mais pas G. Le but de sa visite était
trop important pour qu’il se laisse intimider aussi facilement. Il se
campa plus fermement sur ses jambes, se redressant fièrement, et soutint
l’inspection sans sourciller. Son attitude sembla surprendre un peu Duo,
qui finit par lui demander avec une intonation pratiquement aussi glacée
que celle de son compagnon :
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- Je peux entrer ? Nous serons mieux à l’intérieur pour
... discuter, répondit G d’une toute petite voix timide.
- Nous n’avons rien à vous dire, adieu ! fut la seule réponse
de Heero, et il s’apprêta à refermer la porte quand un geste
de Duo l’en empêcha. Le brun fronça un sourcil, légèrement
étonné de ce revirement, et interrogea l’Américain
du regard. Celui-ci haussa les épaules avec un petit soupir et laissa
tomber d’un ton délibérément détaché
et indifférent :
- Ecoutons au moins ce qu’il a à nous dire ...
Heero hésita un instant devant les sentiments partagés, mélange
de pitié et de colère, qu’il lisait sur son visage, mais
il finit par s’effacer à contrecoeur pour laisser entrer le vieillard.
Ce dernier le remercia d’un petit hochement de tête et pénétra
dans l’appartement.
Break the bread, drink the wine
In my heart you’ll live forever
The time to go is never right
When we say goodbye
Le Professeur entra dans un petit salon, pas très grand mais extrêmement
convivial, clair et agréable, respirant le bien-être. C’était
le genre de petit nid douillet idéal pour un jeune couple d’amoureux.
Nombre de sentiments se bousculèrent dans la tête de G : envie,
regret, rancoeur devant tout ce bonheur que lui-même ne connaîtrait
malheureusement jamais.
Il fit le tour de la pièce du regard, passant sans s’attarder sur
les meubles, le canapé, la petite table. Mais ses yeux furent irrésistiblement
attirés par un petit lit situé près de la fenêtre.
G s'avança doucement vers le berceau et y devina une petite forme profondément
endormie. Il voulut se pencher légèrement pour admirer le petit
visage paisible mais à ce moment-là, quelque chose s’interposa
entre le couffin et lui. Le vieil homme leva la tête, surpris, et vit
Duo qui le toisait, le regard extraordinairement dur.
- Ne vous approchez pas de lui, laissa t-il tomber à voix basse pour
ne pas éveiller le bébé, mais son ton glacial était
empli de menaces à peine voilées.
Le vieillard sentit son coeur se briser sous ce ton volontairement blessant.
Il ne laissa pourtant rien paraître de sa déception et se tourna
résolument vers Heero, qui lui aussi s’était rapproché
et le fixait tout aussi hostilement que son compagnon.
G se rembrunit encore davantage quand le Japonais lui demanda d’une voix
glacée :
- Alors, pourquoi êtes-vous venus jusqu’ici ? Vous savez très
bien que vous n’avez rien à faire en ce lieu ...
Pour toute réponse, le Professeur se contenta de les dévisager
en silence, constatant à quel point ils avaient changé, son esprit
se remémorant péniblement leur dernière entrevue bien des
années avant.
¤ Flash-back ¤
Durant la guerre, Heero et Duo s’étaient profondément
liés au point d’envisager la vie commune une fois la paix établie.
Leurs mentors respectifs avaient vu d’un très mauvais oeil cette
union qu’ils mettaient sur le compte de leur jeune âge et de leur
inexpérience en matière d’amour. Duo s’était
alors vivement emporté devant cette réprobation :
- Vous avez déjà ruiné notre jeunesse en faisant de
nous des terroristes et des assassins. Nous ne vous laisserons pas gâcher
aussi le reste de notre vie.
Chaque mot prononcé par l’Américain s’était
enfoncé comme un poignard dans le coeur de G, qui n’avait pourtant
rien laissé paraître de sa déception. Il s’était
tourné vers J, guettant et redoutant sa réaction. Mais celui-ci
s’était contenté de regarder fixement son élève
et de lui demander froidement :
- Heero ?
L’interpellé n’avait même pas cillé sous
le ton accusateur de son mentor. Mieux même, il lui avait retourné
un regard plus glacial encore. Il s’était saisi maladroitement
de la main de Duo tout proche de lui.
- J’ai décidé de suivre enfin mes émotions.
Il avait semblé à G apercevoir furtivement une ombre de déception
et de résignation passer sur le visage du professeur, mais une telle
démonstration même fugitive de sentiments ressemblait tellement
peu à J qu’il pensa avoir rêvé.
Toujours main dans la main, Duo avait tiré doucement Heero à lui
et tous deux avaient quitté la pièce sans même un regard
en arrière, tournant définitivement le dos à leur passé
guerrier.
Cela s’était passé presque dix ans auparavant et aucun
des deux scientifiques ne les avait jamais revus.
¤ Fin du flash-back ¤
Aussi bien J que lui avaient respecté la décision du couple et
pendant toutes ces années, ils s’étaient contentés
de nouvelles rapportées, sans chercher à les revoir.
Mais aujourd’hui, tout était différent. Et c’était
la raison de sa visite.
Le silence était devenu véritablement oppressant. G s’en
rendit compte et sortit brusquement de sa douloureuse rêverie nostalgique.
Il croisa à nouveau les regards emplis d’interrogations muettes
des deux jeunes gens. Duo s’interposait toujours entre le berceau et lui,
protégeant ostensiblement le bébé, et Heero se tenait juste
à côté de lui, les bras croisés, dans une attitude
de parfaite hostilité.
S’il n’avait tenu qu’à lui, G aurait immédiatement
fait demi-tour devant tant de froide animosité. Mais sa visite était
trop importante pour lui, il avait une sorte de mission à accomplir qui
lui tenait particulièrement à coeur.
Il rassembla finalement son courage et chercha les mots les plus appropriés
à une telle situation. Mais ne trouvant pas, il ne put que lâcher
péniblement à mi-voix :
- J est mort ...
While we’re here we shouldn’t waste
A day in life to say I love you
It’s now that I just wish so much, to see you
Eye to eye
Duo eut un petit sursaut de surprise à cette nouvelle mais Heero resta
de marbre, se contentant de constater cruellement :
- Qu’est-ce que vous voulez que ça nous fasse ?
Le vieil homme scruta son visage pour y déceler la trace d’un sentiment
quelconque, étonnement, peine ou même soulagement. Mais l’ancien
Soldat Parfait savait encore parfaitement contrôler ses émotions,
comme le Professeur J le lui avait appris.
G fut à la fois choqué et déçu, triste et furieux
devant une telle attitude. Il était vrai que Heero avait des raisons
d’en vouloir à son mentor, mais de là à se montrer
aussi imperturbable ...
Il fut pris alors d’un brusque accès d’émotion en
repensant à sa dernière conversation avec son ami, à ces
quelques mots qu’il avait prononcés ...
¤ Flash-back ¤
Mais tu sais, je ne suis pas aussi dur et insensible que je le laisse paraître.
Seulement, on m’a toujours appris que faire preuve de sentiments était
une marque de faiblesse. Et je ne l’ai que trop expérimenté.
Ressentir des émotions, c’est être humain, et l’homme
est faible par nature. En effaçant les sentiments, on supprime une source
principale de faiblesse. C’est ce que je me suis toujours forcé
à enseigner à Heero durant toutes ces années. Je ne cessais
de le lui répéter, mais celui que je voulais convaincre avant
tout, c’était moi. Moi qui ne pouvais m’empêcher de
souffrir devant les tortures infligées à Heero pendant son entraînement
tellement inhumain. Moi qui tremblais chaque fois que mon fils - oui, Heero
que j’ai toujours considéré comme mon enfant sans avoir
jamais pu le lui avouer - chaque fois que mon fils partait en mission ...
¤ Fin du flash-back ¤
G sentit la colère monter en lui à ces souvenirs qui contrastaient
tellement avec la réaction de Heero, qu’il ressentait comme une
trahison envers son défunt compagnon. Pour la première fois depuis
son arrivée, il haussa la voix avec irritation :
- Tu as passé plusieurs années avec J, c’est lui qui t’a
pratiquement élevé. Tu pourrais avoir un peu plus de respect pour
sa mémoire ...
- Il s’est servi de moi, il m’a utilisé comme son jouet pendant
toutes ces années. Comment pourrais-je éprouver le moindre sentiment,
de l’affection ou ne serait-ce même que du respect pour un homme
qui m’a volé mon enfance et une partie de mon adolescence ?
Heero était resté extrêmement calme durant sa tirade, mais
ses yeux lançaient de véritables éclairs.
-Tes griefs sont légitimes, Heero, mais il y a de nombreuses choses que
tu ignores sur J. Et sur moi aussi, d’ailleurs. Mais ça n’a
plus beaucoup d’importance, maintenant ...
Il s’interrompit une seconde, comme submergé par des profondes
pensées secrètes, puis il reprit avec un peu de difficulté
:
- Après tout, il est tout à fait normal que tu n’éprouves
aucune affection pour J en raison de tout ce que tu lui reproches. Mais tu devrais
au moins lui être reconnaissant pour tout ce qu’il t’a appris.
- La seule chose qu’il m’a apprise, c’est à me battre.
Pour le reste ... Pendant longtemps, il m’a privé de la faculté
de ressentir des émotions. Je ne fais que restituer ce qu’il m’a
enseigné, justement.
G hocha la tête, comprenant parfaitement cette attitude mais la réprouvant
en même temps totalement. Il essaya pourtant de chercher des arguments
susceptibles de convaincre le jeune homme.
- Je sais parfaitement que tu as dû beaucoup souffrir dans le passé,
mais cela n’a plus aucune importance maintenant. Tu as enfin fini par
trouver le bonheur (il jeta un regard attendri au couple entourant le berceau
d’un air protecteur). Et c’est justement pour cela que je me suis
permis de venir jusqu’ici. Je ne sais pas si vous le savez, mais aujourd’hui,
c’est le jour d’une très vieille fête, la Fête
des Pères. A notre époque, elle a un peu perdu de sa signification,
mais ... Je me suis dit que c’était une bonne occasion pour tenter
d’oublier nos rancoeurs passées. Après tout, J et moi nous
avons essayé de vous élever comme des pères éduquent
leurs enfants et ...
Vif sursaut réprobateur du couple :
- Alors nous n’avons pas la même conception de la paternité.
Entraîner des gamins pour en faire des soldats, je n’appelle pas
vraiment cela « élever des enfants », accusa violemment Duo.
- C’est vrai, nous avons commis des erreurs mais essayez de nous comprendre,
nous n’avions pas le choix. C’était notre survie à
tous qui en dépendait. Mais nous avons souffert autant que vous, si ce
n’est peut-être même plus. C’étaient nos coeurs
de pères qui souffraient ... Maintenant que vous êtes pères
à votre tour, vous pourrez peut-être mieux comprendre nos motivations
passées et nos sentiments contradictoires. Nous étions partagés
entre notre coeur de pères et notre raison de guerriers, et cela n’a
jamais été facile de lutter, croyez-moi ... Réfléchissez
bien à mes paroles et vous parviendrez peut-être à nous
pardonner, à défaut de nous aimer réellement ...
Suite à ces derniers mots, le Professeur G jeta un dernier coup d’oeil
à la petite famille réunie et quitta ensuite la pièce sans
plus un regard. Il savait, ou plutôt il espérait, que malgré
les apparences contradictoires, ses paroles avaient porté leur fruit.
Il entendit la porte se refermer derrière lui mais il ne se retourna
pas. Submergé par la fatigue et l’émotion trop longtemps
contenues, il s’appuya contre le mur du couloir et s’autorisa enfin
à laisser couler quelques larmes.
I do believe you’re still around me
You’re still around me all the time
I have no doubt one day in heaven
I will see you again
I’ll see you again, see you again
Heero se retrouvait seul dans l’appartement, Duo étant sorti promener
Mika depuis un petit moment. Il adorait l’emmener en balade dans les ruelles
tranquilles de la petite ville. Heero savait que cela lui permettait surtout
de s’isoler un peu et de réfléchir calmement. La visite
de G le matin-même avait dû profondément le marquer, même
s’il n’en avait rien laissé paraître.
Lui-même était agité de sentiments contradictoires. La nouvelle
de la mort de J l’avait secoué plus qu’il ne l’aurait
pensé. Il ne s’y attendait pas vraiment. Il n’avait plus
aucune nouvelle du Professeur depuis plusieurs années, et il s’était
totalement désintéressé de lui. Il avait même cru
l’avoir complètement oublié.
Jusqu’à ce jour qui remettait tout en question.
Heero se surprit alors à s’interroger sur ses sentiments exacts
face à l’annonce de cette mort.
Pendant toutes ces années, il avait tenté d’effacer de sa
mémoire cet homme et tout le mal qu’il lui avait fait. Il lui en
avait énormément voulu d’avoir gâché sa jeunesse
en faisant de lui un terroriste en temps de guerre, puis d’avoir tenté
de les séparer, Duo et lui, une fois la paix établie.
Mais, en définitive, tout ceci n’avait plus beaucoup d’importance
à présent que J était décédé.
Il ne lui restait que ses souvenirs, beaucoup de mauvais mais curieusement aussi
quelques bons. Après tout, J s’était occupé de lui
quand il s’était retrouvé seul au monde après la
mort d’Odin Lowe. Bien sûr, le jeune garçon aurait très
bien pu se débrouiller tout seul sans aucun problème, il n’avait
besoin de personne pour survivre. Mais J lui avait enseigné tout ce qu’il
savait, c’était en partie grâce à lui qu’il
était devenu ce qu’il était à présent. Il
lui en avait beaucoup voulu à ce propos, justement, pendant longtemps
il n’avait vu que le côté négatif de sa formation,
cet espèce de conditionnement qu’il avait subi. Mais avec le recul,
il ne pouvait s’empêcher maintenant de tenter d’envisager
des points positifs.
Et cela le déconcertait particulièrement.
Il se sentait complètement perdu, un tel nombre de pensées contradictoires
s’agitant dans son esprit qu’il secoua la tête comme pour
les chasser. Il se leva du fauteuil dans lequel il s’était écroulé
après le départ de Duo et sortit sur le petit balcon, là
où se trouvait son jardin secret. Il aimait les fleurs et pouvait passer
des heures à s’occuper de ses plantations. Cela lui permettait
de s’évader momentanément, tout comme Duo le faisait en
promenant Mika. Il lui semblait que les merveilleuses plantes qui s’épanouissaient
sous le doux soleil lui apportaient la gaieté dont il avait été
si longtemps privé.
Il s’avança vers un magnifique rosier rouge qui grimpait le long
de la façade. C’était un cadeau de Duo, et il y tenait tout
particulièrement. En effet, quand le châtain avait appris à
quel point il appréciait les fleurs, il lui avait offert ce splendide
rosier. Heero avait été énormément touché
par ce geste empli d’amour, et il chérissait cette plante plus
que toute autre.
Il se baissa et prit un peu d’eau pour l’arroser et ce faisant,
son esprit se remit à vagabonder. Il réalisa à quel point
il avait de la chance d’avoir à présent quelqu’un
pour qui il comptait autant. Duo était la plus belle chose qui lui était
jamais arrivée, et la venue de Mika complétait merveilleusement
ce bonheur.
Sans trop savoir pourquoi, ses pensées se reportèrent à
nouveau sur J. Il ne lui avait jamais parlé de lui, de son passé,
et à l’époque, cela lui importait peu. Mais il se demandait
à présent par quelles épreuves il avait bien pu passer
pour devenir cette espèce de machine inhumaine. Il n’avait probablement
jamais connu la chaleur et la tendresse d’une famille, ou peut-être
avait-il au contraire tout perdu.
Heero ne le saurait vraisemblablement jamais.
Mais les mots de G lui revinrent à ce moment-là en mémoire
:
« Maintenant que vous êtes pères à votre tour, vous
pourrez peut-être mieux comprendre nos motivations passées et nos
sentiments contradictoires. Nous étions partagés entre notre coeur
de pères et notre raison de guerriers, et cela n’a jamais été
facile de lutter, croyez-moi. »
Il en fut étrangement troublé. Le vieil homme avait dit que le
Professeur J l’avait considéré un peu comme son fils. Il
était sûrement la seule famille qu’il ait jamais possédée.
Et en y réfléchissant bien, J avait effectivement tenté
d’élever Heero comme un père élève son fils.
Son enseignement, ses relations avec lui n’étaient pas vraiment
celles que l’on peut attendre d’un père. Mais après
tout, que ce soit avec Odin Lowe ou avec J, c’étaient les seules
que le petit orphelin avait jamais expérimentées.
Le Japonais s’était promis que Mika n’aurait jamais la même
enfance que lui-même avait subie. Il avait le choix de l’éducation
à lui donner. Odin et J ne l’avaient probablement jamais eu.
De ce fait, il n’était donc pas de son ressort de juger de leurs
actes sans savoir. Il n’en avait pas le droit.
Sa rancoeur ne changerait rien au passé. J et Odin étaient morts,
et la seule façon en définitive d’effacer toutes ces années
de souffrance, c’était peut-être finalement le pardon et
l’oubli.
Heero se redressa, son arrosoir toujours à la main, et il resta de longues
minutes à admirer les splendides roses rouges illuminées par le
doux soleil, symboles pour lui de tout l’amour du monde.
When you came home, the war was over
So many years before my time
I was so proud the day you told me
You haven’t heart anyone
No one
« Maintenant que vous êtes pères à votre tour, vous
pourrez peut-être mieux comprendre nos motivations passées et nos
sentiments contradictoires ... ».
Mû par une envie soudaine, Duo s’arrêta brusquement et se
pencha sur la poussette pour caresser du bout des doigts la joue si douce de
Mika, qui lui répondit par un gazouillis joyeux, rassurant.
« Maintenant que vous êtes pères ... »
Les mots de G résonnaient sans cesse dans l’esprit de Duo. Il n’arrivait
pas à se débarrasser de cette phrase, de cette pensée obsédante.
De cette réalité. Et toute une flopée de sensations confuses
envahissait son coeur à l’évocation de son ancien mentor
et de son ancienne vie.
Pendant toutes ces années, il avait considéré le Professeur
G comme une machine dénuée de tous sentiments. Pas un monstre
aussi impitoyable à ses yeux que J, quand même, mais presque.
Quand Heero lui racontait son enfance auprès du Professeur J, Duo ne
pouvait s’empêcher de haïr cet homme qui avait fait tant de
mal à son élève, physiquement mais surtout mentalement.
Sa propre enfance auprès de G n’avait pas été aussi
dure, loin de là. Avec le recul, Duo pouvait même dire que G lui
avait sauvé la vie. Il ne l’avait pas jeté par-dessus bord
ni livré aux autorités lors de leur première rencontre,
alors qu’il n’était qu’un passager clandestin sur le
navire des Sweepers. Il lui avait ensuite fourni un toit et de quoi manger,
choses qu’il n’avait eu que très rarement dans sa petite
enfance, excepté auprès du Père Maxwell.
Comme chaque fois qu’il évoquait mentalement cette époque
de sa vie, ses souvenirs se mirent à dériver et Duo sentit un
petit pincement au coeur en se remémorant les temps heureux auprès
de Soeur Helen et du Père Maxwell.
Celui-là, celui-là seul s’était occupé de
lui comme un véritable père, lui offrant son affection, à
lui, le petit voleur, le gosse des rues sans famille. A sa mort, c’était
tout son monde qui s’était écroulé. Il pensait ne
plus jamais connaître une nouvelle fois le bonheur d’une famille.
Et pourtant.
Il en avait une à présent, une rien qu’à lui, que
personne ne pourrait jamais lui enlever. Quelqu’un qui l’aimait
de toute son âme, et un enfant à chérir de tout son coeur.
Il était heureux.
Enfin, c’était ce qu’il croyait jusqu’au jour même.
La visite de G avait réveillé en lui un manque cruel, qu’il
avait cru avoir compensé durant toutes ces années.
L’absence d’un père.
Après le Père Maxwell, c’était G qui avait joué
ce rôle pendant ces quelques années. Il était bien loin
du père aimant dont le petit garçon orphelin avait rêvé
dans ses nuits solitaires, mais cet homme avait toujours été là
quand il avait besoin de lui.
Il avait été un père à sa façon. Il avait
certes commis des erreurs mais il avait fait de son mieux. Les circonstances
étaient plutôt particulières.
Comment lui-même aurait-il réagi s’il avait été
à la place de G ? Il n’en savait rien, et de ce fait, il n’avait
aucun droit de le juger.
Son comportement était sévère voire parfois cruel, mais
il avait sûrement ses propres raisons. Raisons qu’à l’époque
l’enfant était trop jeune pour comprendre.
Mais à présent qu’il avait grandi, qu’il était
père à son tour avec d'infinies responsabilités, il parvenait
enfin à envisager des raisons à ces agissements, des raisons autres
que l’insensibilité la plus complète.
Etrangement, pour la première fois depuis très longtemps, Duo
ne ressentit plus aucune haine pour G, seulement une immense compassion et un
besoin de comprendre.
Le vieil homme n’avait peut-être pas tort, après tout. Il
se devait de lui donner au moins une chance de s’expliquer, et pourquoi
pas en ce jour approprié de la Fête des Pères.
L’esprit soulagé, comme en paix avec lui-même, Duo se pencha
une nouvelle fois sur la poussette, et le sourire heureux et confiant de Mika
le conforta dans sa décision.
Break the bread, drink the wine
In my heart you’ll live forever
The time to go is never right
When we say goodbye
Le coup de sonnette tira brusquement G de sa torpeur. Il quitta difficilement
le canapé dans lequel il sommeillait et vint ouvrir la porte en se demandant
qui pouvait bien lui rendre visite en cette heure avancée de l’après-midi.
Il n’attendait personne. Enfin, il n’attendait plus personne. Ses
espoirs avaient été irrémédiablement déçus,
pensait-il.
Aussi quelle ne fut pas sa surprise de découvrir sur le palier Heero
et Duo, celui-ci portant Mika dans ses bras. Les deux jeunes gens paraissaient
particulièrement intimidés, un vague sourire un peu crispé
sur le visage. G quant à lui était tellement stupéfait
de leur présence en ce lieu qu’il en resta paralysé de surprise
pendant de longues secondes. Tous trois demeurèrent ainsi quelques instants,
muets, jusqu’à ce que le vieil homme ne leur propose finalement
d’entrer.
Ils pénétrèrent dans un appartement minuscule, qui confirmait
l’aspect plutôt lugubre de l’ensemble de l’immeuble.
Après un léger temps d’hésitation, Heero se dirigea
vers la petite fenêtre, d’où il fit mine de contempler le
paysage alentours. Il se sentait assez mal à l’aise en cet endroit,
non pas qu’il désapprouvât la démarche de Duo, bien
au contraire. Seulement il se sentait vaguement de trop et préférait
se tenir un peu à l’écart pour leur laisser un minimum d’intimité.
Duo et le Professeur restèrent de longues minutes face à face,
sans échanger un seul mot, temps durant lequel ils en profitèrent
pour reprendre discrètement leur observation ébauchée le
matin.
G ne pouvait s’empêcher d’admirer celui qui était devenu
un beau jeune homme à la mine épanouie. Il semblait pleinement
heureux, serrant dans ses bras un petit bout de chou attendrissant.
Duo de son côté fut saisi de pitié en constatant l’état
de fatigue prononcée dans lequel se trouvait le vieillard. Il s’appuyait
lourdement contre un meuble et semblait extrêmement marqué par
toutes ces années écoulées qui avaient dû être
terribles pour lui.
Désireux d’abréger ce qu’il considérait comme
une épreuve pour le vieil homme, Duo prit une profonde inspiration et
se mit à balbutier, chose qui ne lui ressemblait guère :
- Euh ... Eh bien, Professeur ... Je ... Enfin, je ... J’ai bien réfléchi
à ce que vous avez dit ce matin et ... Je crois que ... Je crois que
je vous ai peut-être jugé un peu trop vite. Vous aviez sûrement
vos raisons propres pour agir comme vous l’avez fait pendant toutes ces
années, et je pense que ... Je n’ai pas le droit de vous critiquer
sans connaître d’abord vos motivations passées. Je me dois
de vous laisser au moins une possibilité de vous expliquer sur les circonstances
de vos actions. Peut-être ensuite changerai-je d’avis à votre
sujet. Ou peut-être pas ... Mais néanmoins, j’aurais fait
tout ce que je devais envers vous ... Je vous octroie donc une dernière
chance ... Si vous êtes d’accord, bien sûr ?
Trop ému pour dire le moindre mot, G se contenta de hocher la tête,
les yeux embués. Duo le remercia d’un petit sourire timide.
Cherchant ensuite une manière de conclure symboliquement cette tentative
de rapprochement, le châtain remarqua que le Professeur avait le regard
fixé avec tendresse sur Mika qui considérait la scène sans
comprendre. Le sourire de l’Américain s’élargit et
il tendit doucement le bébé vers le vieillard en déclarant
d’une petite voix incertaine :
- Je crois que cet enfant ... a besoin d’un grand-père. Professeur
G, je vous présente votre ... petit-fils, Mika ...
G ouvrit de grands yeux éberlués devant ce geste auquel il ne
s’attendait absolument pas, puis il prit avec précaution le bébé
dans ses bras. Mika se tendit d’abord légèrement sous l’étreinte
de cet étranger, mais bien vite, il se lova contre son torse, confiant.
S’en fut trop pour G qui éclata en sanglots pour la seconde fois
de la journée. Mais ces larmes étaient cette fois la marque d’un
pur bonheur.
While we’re here we shouldn’t waste
A day in life to say I love you
It’s now that I just wish so much, to see you
Eye to eye
Le soir tombait doucement sur le petit cimetière. Seul un petit groupe
s’attardait encore dans les allées pratiquement désertes,
et s’arrêta enfin devant une tombe récente, un peu à
l’écart.
Le professeur G et Duo, Mika endormi paisiblement dans ses bras, se tinrent
quelques pas en retrait pour laisser un peu d’intimité à
Heero, comme lui-même l’avait fait un peu plus tôt dans l’appartement.
Le Japonais sembla hésiter un court instant, jouant nerveusement avec
les deux splendides roses rouges fraîchement coupées qu’il
tenait dans sa main droite. Puis il parut se décider sur la meilleure
attitude à adopter : il s’agenouilla maladroitement devant la pierre
tombale, vierge de toute inscription, et y plaça délicatement
les roses, côte à côte. Il baissa ensuite la tête en
un geste de recueillement et de prière, et murmura à mi-voix :
- Professeur J ... Et vous Odin Lowe qui gisez si loin d’ici ... Je ...
Je dépose pour vous ces deux roses rouges, en signe de ... réconciliation.
Puissiez-vous reposer en paix ... Pour l’éternité ...
Il se releva ensuite mais resta quelques secondes à contempler les deux
fleurs formant une tache vive sur la pierre tombale immaculée. G et Duo
se permirent enfin d’approcher et entourèrent Heero, semblant perdu
dans de profondes pensées. Il revint à lui au contact de la main
de Duo dans la sienne. Il lui rendit son étreinte et lui dédia
un petit sourire rassurant, puis il jeta un coup d’oeil au Professeur
sur la joue duquel coulait à présent une unique larme difficilement
interprétable.
Sans trop savoir pourquoi, Heero se sentit étrangement rasséréné,
en paix avec lui-même et avec les autres. Il déclara alors à
haute voix, comme pour sceller le rapprochement de ces trois générations
enfin réunies :
- Et ... Bonne Fête des Pères ...
Eye to eye ...
Eye to eye ...
FIN