Titre : Au Temps du Clair de la Terre
Auteur : Sayana
Base : Gundam Wing
Genre : songfic, shonen aï, Noël ^^
Commentaire : Cette histoire a été écrite dans le
cadre du nouveau concours inter-ML, sur le thème du "retour aux
sources", et fait partie de l’arc « The First Noël »
comprenant « Noël Interdit » et « Noël Ensemble
». Mais il n’est pas recommandé de la lire avant les deux
autres si vous voulez éviter quelques spoilers ^^ !
Notes de l’auteur : La chronologie de l’Episode Zéro
ne m’arrangeait pas vraiment, donc je me suis permis de la modifier un
peu pour qu’elle colle avec « Noël Interdit ». Les citations
sont d’ailleurs tirées de cette fic.
Disclaimer : La chanson « Au Temps du Clair de la Terre » (ou "Je
pense à Noël") est tirée des « Fabulettes »
d’Anne Sylvestre. J’aime cette chanson, si naïve et si vraie
^^. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c’est un dialogue entre une adulte
et une enfant. J’ai indiqué par un « A » ce qui est
chanté par Anne Sylvestre, et par un « E » ce qui est chanté
par l’enfant. Les trois contes cités plus bas sont de Hans Christian
Andersen, ce sont ceux que j’écoute en décorant le sapin
et qui m’inspirent ^^.
Voilà, bonne lecture et n'hésitez pas à me dire ce que
vous avez pensé de cette petite histoire !
Au temps du clair de la terre
A
: Au temps du clair de la Terre, au temps des fusées,
Au temps du clair de la Terre, qu'est-ce qui te fait rêver ?
E : Je pense à Noël, je pense à Noël ...
A tout ce qui arriva à ce petit enfant là.
Duo
tournait et se retournait dans son lit depuis des heures. Malgré tous
ses efforts, il ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Comme tous les ans, à la même époque, son esprit était
envahi d’une foule de sentiments contradictoires : excitation, appréhension,
impatience, souffrance, espoir et peur formaient dans son estomac comme une
grosse boule qui l’empêchait de dormir. Il ne parvenait pas à
rester immobile plus de cinq minutes d’affilée, et demeurait le
plus souvent les yeux grand-ouverts, comme si le simple fait de les fermer pouvait
provoquer en lui un afflux de souvenirs qu’il savait difficilement supportables.
Il préférait donc rester ainsi à fixer pendant des heures
interminables une pâle obscurité qu’il estimait bien moins
inquiétante que ses sombres pensées, souhaitant la venue d’une
aube finalement autant attendue que redoutée.
A cette perspective peu réjouissante, le châtain fut saisi d’une
nouvelle montée d’angoisse qui le poussa à se retourner
une fois de plus. Mais ce faisant, il donna un coup de pied bien involontaire
à Trowa qui dormait profondément à ses côtés.
Celui-ci ouvrit un œil en grognant et chercha avec étonnement ce
qui avait bien pu le réveiller ainsi. Il leva la tête et devina
son compagnon tourné vers lui, dont l’agitation et le tourment
étaient palpables malgré la pénombre qui les entourait.
Duo se mordit la lèvre, à la fois furieux contre lui-même
d’avoir dérangé son ami et en même temps un peu honteux
que celui-ci le voie dans cet état, ce qu’il ne souhaitait pour
rien au monde. Il lui offrit néanmoins un petit sourire contri.
- Je suis désolé,
je ne voulais pas te réveiller …
- Ce n’est pas grave, répondit Trowa encore à moitié
endormi et la voix pâteuse. Pourquoi est-ce que tu as bougé comme
ça ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien, rien, ne t’inquiète pas ! mentit l’intéressé
sans beaucoup de conviction. C’est juste que je n’arrive pas à
dormir et je t’ai donné un coup de pied sans le vouloir en me retournant
pour chercher une position plus confortable. Mais c’est bon, maintenant,
ça va aller, tu peux te rendormir et …
- Tu es vraiment sûr ? Tu es sûr que c’est tout ? l’interrompit-il
en se relevant et en appuyant son dos contre le montant supérieur du
lit. La pleine lune qui éclairait la chambre lui permit de distinguer
très nettement le visage ravagé de son ami, ce qui l'alarma.
- Je te connais bien, Duo, et je sais quand tu n’es pas dans ton état
normal. Tu es extrêmement agité depuis cet après-midi, nerveux
même, et tu n’arrêtes pas de remuer dans ce lit depuis des
heures. Je ne dormais pas vraiment, précisa t-il sous le froncement de
sourcils de son amant surpris. Donc, qu’est-ce qu’il y a ? redemanda
t-il d’une voix douce mais où perçait une réelle
inquiétude, ce qui toucha beaucoup Duo.
Le jeune homme
fit alors un gros effort pour ne rien laisser paraître de son angoisse
et répondit avec autant de légèreté qu’il
lui était possible :
- Nous sommes la nuit
du 24 décembre. Demain, c’est Noël. C’est un peu normal
d’être aussi excité, non ? Je suis comme un petit garçon
en cette veille de fête et j’ai hâte de voir tous les beaux
cadeaux que tu vas m’offrir …
Mais son ton enjoué
et rassurant sonnait horriblement faux et il ne parvint pas à tromper
son ami qui le regarda fixement.
- Non, Duo, il y a
autre chose, je le sens. Dis-moi ce qui ne va pas, s’il te plait, le supplia
Trowa en lui prenant la main et en la serrant tendrement.
Duo se releva alors
à son tour et s’appuya lui aussi contre le montant du lit, la tête
basse, incapable de prononcer le moindre mot.
- Duo ! insista doucement
le Français en accentuant sa pression sur la petite main glacée.
L’interpellé
sentit son cœur sur le point d’exploser sous le flot d’émotions
qui l’envahissait et il tourna alors vers son compagnon des yeux plein
de larmes …
A
: Il était si nu si pauvre qu'on l'avait couché,
Il était si nu si pauvre, dans la paille des bergers.
E : Mais ça le piquait, il devait pleurer,
Et son père charpentier un lit pouvait lui clouer.
Duo
tournait et se retournait dans son lit depuis des heures. Malgré tous
ses efforts, il ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Il se sentait pourtant bien à l’abri dans le petit lit sous les
chaudes couvertures, protégé à la fois du froid glacial
de cette soirée de décembre et des horribles batailles qui faisaient
rage au dehors. Mais pourtant, leurs éclats l’empêchaient
de fermer l’œil, plus encore que les autres nuits.
En soupirant, le petit garçon remonta la couette qui avait glissé
de ses épaules lorsqu’il avait de nouveau changé de position
et enfoui sa tête dessous. Il espérait ainsi atténuer un
peu le bruit terrible des détonations.
Mais une explosion plus forte que les autres le fit bondir hors de son lit,
alarmé. Il avait l’impression que les affrontements se rapprochaient
sensiblement, comme si les combattants encerclaient à présent
l’église, prêts à l’attaquer.
Mais non, c’était assez improbable. Personne n’oserait jamais
accomplir un acte aussi odieux dans de telles circonstances.
En effet, cela faisait déjà plusieurs jours que le bâtiment
servait de refuge à de nombreux soldats. Car même s’il désapprouvait
totalement cette guerre, le Père Maxwell estimait qu’il était
de son devoir de porter secours aux blessés. Sœur Helen et lui faisaient
donc office d’infirmiers dans la bâtisse transformée en hôpital
de campagne.
Et jusqu’à présent, nul ne s’en était jamais
pris à cet édifice religieux.
Jusqu’à présent, seulement. Car les luttes paraissaient
s’amplifier jour après jour, et personne n’était plus
à l’abri nulle part, même dans ce lieu par définition
neutre et sacré.
Un calme relatif avait succédé aux déflagrations, mais
ce silence ne présageait rien de bon.
Vaguement inquiet, Duo songea à retourner se réfugier sous ses
draps protecteurs, mais il se sentait incapable de trouver le sommeil.
Il décida donc de se mettre en quête d’un peu de lait chaud
qui l’aiderait probablement à se détendre.
Le gamin ouvrit doucement la porte de sa petite chambre et jeta un œil
dans le couloir. L’obscurité était assez profonde, mais
à travers les fenêtres, les incendies projetaient leurs ombres
jaunes et rouges sur les murs gris et austères.
En passant devant la porte menant à l’église, Duo entendit
avec effroi les râles des blessés et les cris et les imprécations
des soldats qui formaient un fond sonore continu, à peine couvert par
le bruit des explosions qui venaient de reprendre plus fortement encore.
Duo frissonna involontairement. Il mit cela sur le compte du froid ambiant,
sans vouloir reconnaître que c’était cette atmosphère
assez surréaliste qui l’inquiétait un peu.
Il se dépêcha néanmoins pour gagner rapidement la petite
cuisine et ouvrit le frigidaire, duquel il sortit un pichet de lait frais. Il
s’en servit une tasse qu’il versa dans une casserole et posa sur
la gazinière. La douce flamme qui surgit lorsqu’il tourna le bouton
d’allumage lui sembla soudain rassurante. Elle projetait autour de lui
un léger halo jaune et rouge dont la couleur apaisante contrastait curieusement
avec celle provenant de l’extérieur. Le petit garçon avança
lentement ses mains vers le feu pour réchauffer le bout de ses doigts
glacés, fasciné par la douce lumière et le léger
crépitement de la flamme.
C’est ainsi que le trouva Sœur Helen lorsqu’elle pénétra
dans la pièce, un plateau couvert de vaisselle sale dans les mains. Elle
posa avec précaution son fardeau sur la table, ce qui fit sursauter Duo.
Il se retourna vivement, sur ses gardes, mais se détendit aussitôt
en réalisant qui c’était.
- Je suis désolée,
Duo, je ne voulais pas te faire peur, s’excusa la religieuse, un doux
sourire illuminant son beau visage. Tu n’arrives pas à dormir ?
Tu as peur des combats ?
Le garçonnet
secoua la tête et répondit vivement :
- Non, ce n’est
pas ça ! C’est juste que … Le bruit est très fort
et m’empêche de fermer l’œil, admit-il légèrement
honteux. Il ne voulait pas lui laisser penser que cela le rendait soucieux.
- Tu sais, tu n’as rien à craindre ici, tu es en sécurité,
le rassura t-elle d’un ton très doux. Personne
ne peut s’en prendre à nous, personne n’oserait s’attaquer
à ce lieu qui est un refuge pour tous ceux qui en ont besoin …
- Je le sais, mais … J’ai l’impression que les combats se
rapprochent jour après jour et qu’ils sont de plus en plus violents,
et … ça m’inquiète un peu, avoua Duo à mi-voix.
C’est un peu comme si … comme si les gens avaient justement oublié
cette … notre neutralité, continua t-il en cherchant ses mots.
- Je vois ce que tu veux dire, reprit plus sérieusement Sœur Helen
en arrêtant le feu sous la casserole.
Elle versa
ensuite le lait bouillant dans la tasse qu’elle posa devant le petit garçon.
Celui-ci s’installa sur une chaise et commença à savourer
son breuvage en soufflant dessus pour le refroidir un peu. La religieuse prit
place à ses côtés et un long silence s’établit
entre eux, chacun semblant plongé dans de profondes pensées.
Au bout d’un moment, Sœur Helen reprit la parole.
- C’est vrai,
une église est un lieu neutre, un lieu de paix. Mais il est vrai aussi
que, pris dans le feu de la guerre, les gens ont tendance à l’oublier
...
Comme pour lui donner
raison, une forte explosion toute proche l’interrompit. Duo tressaillit
et faillit en lâcher sa tasse de surprise. Sœur Helen eut un nouveau
sourire.
- Mais malgré
tout, il faut avoir confiance. Je reste persuadée que tout au fond de
leurs cœurs, les hommes n’aiment pas la guerre. Seules les circonstances
et l'espérance d’une vie meilleure les poussent à se battre
comme ils le font. Combattre pour imposer ses idéaux de paix, cela n’est
pas vraiment la meilleure solution. Mais cela reste souvent la seule pour beaucoup
… Mais un jour, oui, un jour prochain … cette guerre cessera et
le calme reviendra, j’en suis sûre. C’est pour cela qu’il
faut garder espoir !
- L’espoir et la paix … répéta le petit garçon
tout doucement d’un ton songeur.
Malgré l’obscurité
ambiante, atténuée seulement par les lueurs extérieures,
il put voir la foi qui éclairait le doux visage, et il hocha la tête
en souriant, rasséréné. Puis il reprit sa dégustation.
Le lait était maintenant tiède et il se dépêcha de
finir sa tasse, puis la reposa délicatement sur la table et replongea
dans sa méditation.
L’espoir et la paix … Ces deux mots lui en rappelaient étrangement
d’autres, un peu plus anciens …
- Dis,
Solo, c’est quoi Noël ?
L’interpellé regarda avec surprise le petit garçon aux grands
yeux mauves qui venait de poser cette question avec toute l’innocence
de son jeune âge. L’aîné sourit et tenta d’expliquer
la signification de cette fête au garçonnet qui buvait avidement
toutes ses paroles.
- Chez les Catholiques, Noël marque la naissance de Jésus et l’avènement
d’une ère nouvelle. La venue au monde de ce bébé
est signe d’espoir et de paix pour les Hommes. Pendant la période
de Noël, les gens mettent brièvement de côté leurs
problèmes et leurs querelles. La faim, la peur, et même la guerre
sont oubliées pendant quelques heures. C’est une époque
où tous les rêves sont permis, même les plus utopiques. C’est
un moment magique, un moment d’éternité.
Quand il eut terminé, le petit prit quelques secondes pour enregistrer
toutes les informations qu’il venait de recevoir et son visage finit par
s’illuminer d’un immense sourire.
- Dans ce cas, j’aimerais que ce soit Noël tous les jours.
Le petit garçon avait énoncé cette phrase avec un tel enthousiasme
et une telle foi que Solo sentit son cœur se réchauffer. Cela faisait
de nombreuses années que lui-même ne croyait plus à la magie
de Noël. Il avait traversé trop d’épreuves, vu trop
d’horreurs pour croire encore aux miracles. Mais la joie et l’émerveillement
qu’il lisait à présent dans les yeux candides de l’enfant
lui donnèrent brusquement envie de croire encore un peu à l’enchantement.
Chaque
détail de cette conversation restait gravé dans sa mémoire,
et le cœur du garçonnet se serra douloureusement à ce souvenir.
Evoquer Solo, même en pensées, lui était toujours aussi
pénible.
- Dans ce cas,
j’aimerais que ce soit Noël tous les jours …
Duo eut soudain comme
une brusque illumination. Il leva la tête et regarda Sœur Helen.
- Dites-moi, Ma Sœur,
nous sommes bien le 23 décembre, n’est-ce pas ?
La religieuse jeta
un petit coup d’œil à l’horloge murale qu’elle
distinguait difficilement dans la pénombre.
- Il est minuit passé,
donc maintenant, nous sommes le 24 …
- Alors, demain, c’est Noël ?
- Oui, c’est exact, je n’y pensais plus, répondit Sœur
Helen, songeuse. Au milieu des combats incessants, il était difficile
de garder la notion du temps, et certains événements perdaient
de toute façon de leur valeur. Il en allait ainsi pour cette fête
pourtant hautement symbolique.
- C’est vrai que Noël, c’est une période de paix et
d’espoir ?
La jeune femme acquiesça.
- Oui, tu as raison,
même si beaucoup de personnes ont tendance à l’oublier, malheureusement.
Qui t’a dit tout cela ?
- Solo, souffla le gamin en détournant la tête pour que la religieuse
ne voie pas ses yeux embués de larmes.
- C’est l’un de tes amis ?
- Mon meilleur ami. Il était même … comme mon grand frère
…
Sœur Helen ressentit
un pincement au cœur sous l’intonation pleine de chagrin du gamin.
Il ne lui avait jamais parlé de ce garçon, mais elle devinait
son destin tragique à ces quelques paroles et cette voix si triste.
Elle commençait à chercher quelques mots apaisants pour le réconforter
un peu, mais elle fut interrompue dans ses réflexions par l’arrivée
du Père Maxwell, les bras emplis de pansements. Il parut surpris de les
trouver ainsi, Duo les yeux pleins de larmes et Sœur Helen le visage bouleversé.
Il s’apprêtait à les questionner quand Duo tourna la tête
vers lui.
- Dites-moi, Père
Maxwell, est-ce que le Père-Noël existe vraiment ?
Les deux adultes
se regardèrent avec surprise. Mais une telle question était après
tout normale, provenant d’un petit garçon de cet âge.
- Les autres enfants disent que non, poursuivit le garçonnet en baissant
de nouveau le regard, et ils se moquent de moi quand je leur dis que …
que …
Mais il ne put finir
sa phrase, au comble de la gêne.
- … que
tu crois en lui, acheva le prêtre avec douceur. Le Père-Noël
existe si tu veux bien croire en lui, Duo. Il vit dans le cœur de ceux
qui ont gardé une âme d’enfant et qui n’ont pas perdu
l’espoir d’un monde meilleur. Pour ceux-là, oui, pour ceux
qui le méritent, le Père-Noël existe, et tu n’as aucune
raison d’être honteux d’avoir envie d’y croire …
Duo sembla réfléchir
quelques secondes, puis il releva la tête, cette fois-ci fièrement.
Il bondit sur ses pieds, un grand sourire aux lèvres, et se précipita
vers la porte en criant :
- Je vais me coucher.
Bonne nuit !
Mais avant de sortir,
il se retourna une dernière fois, l’air plus grave.
- Merci, Sœur
Helen. Et merci … Père-Noël !
Et il franchit le
seuil en courant, sous les éclats de rire un peu émus des deux
religieux.
A
: Mais les soldats à leur suite voulaient les tuer,
Mais les soldats à leur suite les forçaient à se cacher
E : Je ne comprends, ça ne se peut pas,
Un soldat même méchant, ça ne tue pas un enfant.
Après
avoir quitté le Père Maxwell et Sœur Helen, et au lieu de
regagner directement sa chambre, Duo se rendit dans la petite salle qui servait
de bibliothèque, avec un but bien précis.
Il se demandait comment on célébrait Noël, autrefois. En
effet, les habitants de L2 ne fêtaient plus Noël depuis longtemps,
par manque de temps ou tout simplement parce qu’ils avaient oublié
la signification de cette fête. C’était comme si la guerre
et la misère avaient emporté tous leurs joyeux souvenirs, comme
si elles avaient effacé tous leurs rêves d’enfants …
Le gamin espérait bien découvrir des réponses à
ses questions dans de vieux écrits.
Il ouvrit donc doucement la porte et passa lentement la tête à
l’intérieur, hésitant un peu. Il n’aimait pas beaucoup
cette pièce en temps normal, il la trouvait même assez sinistre.
Quelques centaines de vieux volumes poussiéreux et défraîchis
meublaient des étagères branlantes, ce qui n’avait rien
de bien engageant pour un petit garçon comme lui. De plus, le local avait
cette nuit-là quelque chose de vaguement inquiétant, éclairé
par la clarté d’une bougie qu’il venait d’allumer et
dont les faibles lueurs blanches et jaunes faisaient concurrence aux flammes
des incendies alentour. Le garçonnet ne voulait surtout pas allumer la
lumière par peur d’attirer l’attention sur lui, car il ne
désirait pas que quelqu’un apprenne où il s’était
rendu. Il voulait que cela demeure un secret.
Il s’approcha finalement du mur devant lui et commença son inspection
parmi les rayonnages à sa hauteur.
Il trouva bien évidemment des dizaines d’ouvrages religieux, relatant
pour la plupart d’entre eux la venue au monde du Christ et toute l’histoire
de sa vie. Le garçonnet les feuilleta rapidement, arrêtant son
regard sur les passages qui lui semblaient les plus importants. Tous accordaient
à cette naissance un grand symbole de paix et d’espérance,
confirmant ainsi ce que lui avait appris Solo.
Puis il continua ensuite sa patiente recherche et finit enfin par dénicher
un livre qui le laissa muet d’admiration : un recueil de contes de Noël,
illustré du dessin d’un splendide sapin. C’était exactement
ce qu’il lui fallait.
Le petit garçon s’allongea à plat-ventre et posa le volume
à terre devant lui, puis il commença à examiner l’œuvre
que la bougie éclairait faiblement.
Il resta tout d’abord de longues minutes à admirer la couverture,
sur laquelle était dessiné un magnifique arbre de Noël. Cette
vision semblait tout simplement magique à son regard ébloui d’enfant
qui n’avait jamais vu de véritable sapin de Noël.
Puis, abandonnant sa contemplation béate, il plongea ensuite avec délectation
dans une lecture attentive de l’ouvrage.
« La Petite Marchande d’Allumettes », « Le Sapin »,
« Les Lutins », et bien d’autres encore …
Tous ces contes de Noël, tantôt gais et tantôt tristes, regorgeaient
d’anges dorés et de lutins farceurs, de bonhommes de neige rieurs
et de Père-Noël joyeux, de rubans brillants et de nœuds soyeux,
de bonbons appétissants et de cadeaux mystérieux, de cloches et
de clochettes tintinnabulant gaiement dans le froid de l’hiver.
Le petit garçon se trouvait transporté dans un univers inconnu
et merveilleux, peuplé de rêves et de légendes féeriques.
Il resta ainsi de longues heures, absorbé par sa lecture passionnante.
Ni le froid ambiant, aggravé par la fraîcheur du sol, ni sa positon
inconfortable, ni les explosions au dehors, ni même la fatigue ne semblaient
pouvoir détourner son attention.
Ce ne fut que lorsque la bougie s’éteignit qu’il finit par
relever la tête, un peu surpris. Il avait complètement perdu la
notion du temps et du lieu où il se trouvait.
Les premières lueurs de l’aube commençaient à pénétrer
dans la petite pièce, habillant les murs tristes de faibles lueurs blanchâtres.
Duo referma le livre et s’assit, pensif. Il était encore émerveillé
par tout ce qu’il venait de lire. Les enfants du temps passé avaient
vraiment beaucoup de chance de pouvoir fêter Noël au pied de sapins
aussi resplendissants, de recevoir de beaux jouets et d’écouter
des histoires fabuleuses sans penser à rien d’autre qu’à
leur bonheur présent.
Le petit garçon poussa un profond soupir. Que ne donnerait-il pas pour
être à leur place, entouré d’une famille douce et
aimante, de proches et d’amis attentionnés. Vivre ne serait-ce
qu’un bref instant dans la joie et la gaieté, dans l’espoir
et dans la paix …
Oui, cela devait être merveilleux !
Petit à petit, une idée commença à germer dans sa
tête.
Et si …
Et si lui aussi fêtait Noël, comme dans les contes qu’il venait
de dévorer ? Rien ne l’en empêchait, après tout.
Il n’avait bien sûr pas les moyens d’acheter des cadeaux,
ni le temps d’en confectionner, et il n’avait donc rien à
offrir.
Rien, à part l’envie d’apporter un peu d’enchantement
aux gens qu’il aimait, pour les remercier de tout ce qu’ils avaient
fait pour lui.
Et cette louable intention lui semblait être le plus beau des présents.
Le garçonnet battit des mains à cette pensée, et il commença
immédiatement à réfléchir à la meilleure
manière de célébrer Noël.
Il ressortait de ses différentes lectures que les enfants attendaient
avec impatience l’arrivée d’un vieux bonhomme jovial appelé
« Père Noël », au pied d’un magnifique sapin majestueux
et resplendissant qui avait été somptueusement décoré
par leurs soins. C’étaient donc à son avis les symboles
principaux de cette fête.
Il replongea alors aussitôt dans son recueil, le feuilletant de nouveau
rapidement pour arrêter son regard sur les longues descriptions qui émaillaient
les divers récits.
Le garçonnet essaya de relever dans sa tête tous les détails
composant les décorations des sapins, les boules multicolores et les
guirlandes étincelantes, illuminées par des dizaines de bougies
scintillantes, les flocons de neige immaculés, les clochettes joyeuses,
les nœuds lisses et doux, et enfin l’étoile d’or tout
au sommet du résineux.
Il nota également le grand costume rouge bordé de chaude fourrure,
les bottes noires et luisantes, la grosse ceinture de cuir, la barbe soyeuse
et le bonnet de laine orné d’un pompon blanc.
Il lui suffirait donc de décorer un bel arbre de Noël et de revêtir
un habit écarlate pour amener aussitôt une ambiance festive et
chaleureuse.
Mais néanmoins, le petit garçon soupira. Tout cela était
bien beau, mais comment allait-il pouvoir trouver un costume rouge et surtout
un sapin en si peu de temps ? Comment allait-il parvenir à décorer
celui-ci dans la journée et sans aucun matériel ? Il n’avait
pas d’argent pour en acheter, et il doutait de toute façon de la
présence de telles décorations dans les quelques magasins demeurant
ouverts en ces temps de guerre.
Il jeta un ultime coup d’œil envieux au sapin superbe du livre, admirant
une dernière fois ces splendeurs inaccessibles, puis il le remit à
sa place.
Il allait devoir se débrouiller par ses propres moyens pour parvenir
à ses fins.
Mais au lieu de l’inquiéter, cette pensée le fit sourire.
Il avait l’habitude …
A
: Et quand vinrent les Rois Mages les mains pleines d'or,
Et quand vinrent les Rois Mages lui donnèrent leurs trésors.
E : Ils auraient mieux fait d'apporter du lait,
Des couvertures et des draps pour qu'il aie un peu moins froid.
Le
petit garçon eut beau chercher pendant des heures, il ne put trouver
le moindre sapin, peut-être tout simplement parce qu’il n’y
avait pas de forêt sur L2.
Mais malgré tout, il avait continué ses vaines recherches, dans
l’espoir de dénicher un arbre isolé.
Las d’avoir parcouru ce qui lui semblait être la moitié de
la colonie, il s’assit sur un banc encore debout, dans les ruines d’un
petit parc, et enfoui son menton entre ses mains pour réfléchir.
Où trouver un sapin ? Ou, à défaut, un arbre lui ressemblant
?
Après quelques minutes d’intense réflexion, il poussa un
grand soupir et secoua la tête de dépit. Non, décidément,
il ne voyait vraiment pas ce qui pourrait faire l’affaire en une telle
circonstance …
C’est alors que son regard se posa sur la haie qui bordait le parc autrefois,
dont il ne subsistait que quelques rares arbres, et un grand sourire illumina
son visage. Un cyprès … C’était exactement ce qui
lui fallait !
Il retourna donc à l’église en courant et pénétra
dans la remise, où il savait trouver les outils que rangeait le Père
Maxwell. Il fit le tour des lieux du regard, cherchant un objet susceptible
d’après lui de couper un arbre, et finit pas arrêter son
choix sur une petite hache, apparemment peu lourde et assez facile à
transporter. Mais elle pesait malgré tout un certain poids, surtout pour
un enfant de son âge, et Duo eut beaucoup de mal à la transporter
jusqu’au jardin, pourtant tout proche.
En ces temps de guerre, les rues détruites étaient quasiment désertes,
excepté quelques combattants qui ne prêtèrent aucune attention
à ce gamin pressé, même si celui-ci transportait une hache
d’un air décidé, et il pu rejoindre sa destination sans
encombre.
Parmi les quatre ou cinq arbres restants, il choisit ensuite celui qui lui semblait
être le plus grand et le plus fourni. Le résineux devait mesurer
environ deux mètres de hauteur mais il lui semblait immense, dressant
fièrement ses branches d’un beau vert sombre en direction du ciel
rougeoyant.
Le petit garçon s’attela immédiatement à la tâche,
vaillamment.
Mais la hache était beaucoup trop grande et trop lourde pour ses petits
bras, et le garçonnet parvenait difficilement à la manier, d’autant
plus qu’il n’avait aucune idée de la façon précise
dont il fallait s’y prendre pour abattre un arbre. Il soulevait donc son
outil bien haut, au dessus de sa tête, et essayait de le faire retomber
toujours au même endroit sur le tronc, espérant ainsi le fragiliser
et provoquer ensuite sa chute en le poussant.
Mais cela était beaucoup plus facile à dire qu’à
faire, constata t-il au bout d’un moment, dépité.
Il s’accorda enfin une pause de quelques secondes, le temps de reprendre
son souffle et de mesurer le travail accompli. Il lui semblait avoir œuvré
des heures durant pour finalement pas grand-chose, le tronc pourtant peu épais
et entaillé en de multiples endroits lui paraissant toujours aussi solide.
Il se remit donc aussitôt à la tâche, avec un nouveau courage.
Tout autour de lui, les explosions retentissaient dans un bruit assourdissant,
illuminant le ciel de traînées rougeâtres, mais il n’y
portait aucune attention, tout occupé à son labeur.
Au bout d’un long effort, le tronc de l’arbre finit par vaciller
légèrement. Duo l’agrippa alors avec fermeté et le
secoua vigoureusement, le faisant enfin s’écrouler avec fracas,
manquant presque de l’écraser au passage.
Satisfait, l’enfant abandonna la hache à terre. Personne ne songerait
jamais à la voler par les temps qui courraient, jugea t-il.
Puis il saisit le cyprès par le tronc et le tira derrière lui.
Les multiples décombres jonchant le sol des rues ne lui facilitaient
pas la tâche. De plus, ses bras étaient douloureux, à cause
du maniement de la hache auquel il n’était pas habitué,
et l’arbre était très lourd et très grand pour un
aussi petit garçon.
Mais il était tellement absorbé dans ses projets qu’il en
venait à oublier ses souffrances et il parvint enfin à l’église
sans rencontrer à son grand soulagement la moindre personne qui aurait
pu lui poser des questions malvenues.
Duo contourna le bâtiment et ouvrit le portillon qui clôturait un
petit jardin attenant. Contre le mur était posé un grand sac,
qu’il vida délicatement de son contenu. Il y avait là tout
ce qu’il avait pu trouver pour faire office de décorations de Noël.
Le garçonnet installa donc le cyprès dans un bac plein de sable
qu’il avait préparé à l’avance. La taille de
l’arbre lui rendit la tâche très difficile, celui-ci refusant
de rester debout et basculant sans cesse à gauche et à droite.
Le gamin parvint néanmoins à bloquer le tronc avec de grosses
pierres. Il disposa ensuite autour du bac disgracieux un grand drap blanc pour
le cacher entièrement, étoffe qu’il avait empruntée
au nécessaire hospitalier de l’église. Il recula un peu
pour juger de son effet. Bien sûr, ce morceau de toile n’avait pas
la splendeur des lourdes tentures de velours vert mentionnées dans les
contes, mais cela ferait largement l’affaire dans ces circonstances.
Puis, il entreprit de décorer l’arbre en chantonnant gaiement,
à l’aide d’un petit escabeau qu’il monta et descendit
des dizaines de fois avec le même entrain.
Il commença par installer en guise de guirlandes de grandes bandes de
tissu qui servaient habituellement à confectionner des pansements pour
les blessés. Duo avait un peu rechigné à les prendre, au
début, craignant qu’elles ne fassent défaut en cas de besoin.
Mais il avait songé que ce n’était que pour deux jours,
et qu’il les rendrait aussitôt Noël passé.
Il en avait profité aussi pour emprunter une grande quantité de
coton, qu’il avait transformé en flocons de neige auxquels il avait
fixé des petits bouts de laine blanche. Il accrocha ces boules improvisées
au cœur des branches du cyprès, leur blancheur immaculée
contrastant joliment avec le vert pâle des petits fruits de l’arbre.
Il fixa ensuite de grands nœuds de papiers de toutes les tailles, papillotes
colorées qui apportaient une touche de gaieté riante.
Puis il suspendit au bout de chaque branche de longs morceaux de ficelles qu’il
avait noués en petites tresses fines, stalactites multicolores oscillant
doucement sous la faible brise, et il intercala entre elles des cierges provenant
eux aussi de l’église, qu’il fit tenir difficilement avec
de petits bouts de fil de fer.
Enfin, pour parfaire le tout, il monta tout en haut de la petite échelle
pour fixer tout au sommet de l’arbre une grande étoile en papier
aluminium d’un beau gris argenté.
Puis Duo sauta en bas d’un bond joyeux et recula de plusieurs mètres
pour admirer son œuvre.
L’ensemble, maladroitement paré par des mains inexpérimentées,
était assez hétéroclite, et prêtait plutôt
à sourire.
Mais le petit garçon était pourtant extrêmement satisfait
de son travail, jugeant magnifique l’arbre illuminé maintenant
par les reflets dorés du soleil couchant.
Tout ce qu’il espérait à présent, c’était
que personne ne découvrirait sa surprise avant le lendemain matin.
A
: Pour toi c'est une légende qui vient de bien loin,
Pour toi c'est une légende, tu ne comprends pas très bien.
E : Ce que je comprends, c'est que les méchants
Devraient devenir meilleurs avec Noël dans le cœur.
Duo
tournait et se retournait dans son lit depuis des heures. Malgré tous
ses efforts, il ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Sa fatigue était pourtant immense suite à sa précédente
nuit blanche et son corps entier n’était que courbatures, aspirant
à un repos bien mérité.
Pourtant, son excitation était bien trop grande pour qu’il arrive
à fermer l’œil.
Dans quelques heures, ce serait Noël.
Son premier Noël.
Le petit garçon repensait sans cesse à tout ce qu’il avait
appris depuis la veille et à tout ce qu’il avait accompli dans
la journée, vérifiant mentalement qu’il n’avait rien
oublié d’important.
Il songea à son surprenant cyprès, étendant au milieu de
la nuit froide et des combats incessants ses branches ornées de merveilles,
tel le plus beau et le plus fier des arbres de Noël.
Il songea également à son costume de Père-Noël, qu’il
avait eu tant de mal à préparer, et qui l’attendait maintenant
sagement sur une chaise à côté de son lit.
Le petit garçon ne possédait bien sûr aucun vêtement
susceptible de convenir pour son déguisement, et il avait donc passé
de longs moments à fouiller dans les affaires que l’on donnait
à l’église pour qu’elle les redistribue aux plus pauvres.
Il avait de cette façon réussi à dénicher des bottes
en cuir luisant, un pantalon rouge et un long manteau de laine assorti, et pour
finir une grosse ceinture de cuir noir. Pour compléter son accoutrement,
il avait aussi trouvé un bonnet rouge bordé de chaude fourrure
blanche, mais qui à son grand regret n’était pas pointu
mais plat. Cela ne l’avait pas empêché d’y accrocher
sur le dessus une grosse boule de coton blanc, qui faisait néanmoins
illusion.
Avant de se coucher, il avait tenu à essayer ces vêtements pour
voir ce que cela donnait sur lui. Il les avait enfilé à tout allure
et les avait lissés sur son corps, admirant le résultat à
la lumière d’une bougie dans le miroir qui ornait un coin de sa
chambre. Tout cela était bien trop grand pour lui puisque ces habits
étaient destinés à des adultes. Il parvenait bien difficilement
à faire quelques pas, nageant dans ses bottes mille fois trop larges
pour lui. Il avait également été obligé de faire
un immense ourlet à son pantalon et son interminable manteau lui tombait
sur les chevilles, à peine retenu par la lourde ceinture qui l’encombrait
beaucoup. Son bonnet, trop grand aussi, lui glissait sur les yeux à chaque
mouvement, et il était sans cesse obligé de le remonter sur son
front. Et sur son visage, la longue barbe de coton qu’il avait confectionnée
lui chatouillait les narines et l’empêchait presque de respirer.
Mais malgré tout, cela lui convenait parfaitement et il était
très satisfait de ses trouvailles.
Il avait donc ôté tous ses vêtements et s’était
couché, le cœur empli de joie.
Cependant, comme la nuit précédente, il n’arrivait toujours
pas à s’endormir, mais plus vraiment pour les mêmes raisons
que la veille.
Le garçonnet tendit une main vers le siège une fois de plus et
tâta prudemment les différents éléments de sa tenue,
pour s’assurer que rien n’était tombé à terre
et que tout était bien là à sa place.
Rassuré, il remit bien vite son bras au chaud et se pelotonna sous les
couvertures.
Le cœur battant à tout rompre, il essaya d’imaginer l’étonnement
de Sœur Helen et du Père Maxwell lorsqu’il pénètrerait
dans l’église le lendemain matin, vêtu de son bel habit rouge
et criant bien fort d’une voix grave « Ho, Ho, Ho !!! Merry Christmas
!!! », comme il l’avait lu dans son livre. Il pouvait déjà
se représenter leur air d’abord stupéfait, puis émerveillé
en même temps qu’amusé devant cette vision à laquelle
ils ne s’attendaient probablement pas.
Duo se remémora ensuite une fois de plus le plan qu’il avait patiemment
élaboré pendant ses longues recherches. Il avait prévu
d’emmener les deux religieux à l’extérieur, leur annonçant
que le Père-Noël leur avait préparé une belle surprise,
et il espérait bien que les soldats les suivraient aussi, au moins par
curiosité. Une fois devant le cyprès magnifiquement décoré,
il était persuadé que ces adultes endurcis ne pourraient pas rester
insensibles à ce spectacle magique et retrouveraient aussitôt une
âme d’enfant, au moins pour un bref instant.
Et surtout, comme le lui avait dit Solo, il espérait qu’en voyant
ce sapin improvisé, les soldats comprendraient que tout était
possible avec un peu de bonne volonté, et ainsi qu’ils concevraient
enfin l’inutilité et la bêtise de cette guerre.
Car cet arbre représentait avant tout un symbole universel, celui de
l’Entente et de la Paix. Il plantait ses racines dans la sombre réalité
mais tendait ses branches vers le monde des rêves et de l’espoir.
C’était comme un pont dressé entre le réel et l’imaginaire,
le passé et l’avenir.
Et cela n’était possible qu’à un bref moment dans
l’année, celui où un vieux monsieur descend du ciel dans
un beau traîneau pour illuminer les yeux des petits et de ceux qui ont
su garder leur songes d’enfants.
La tradition de Noël voulait que l’on offre des cadeaux aux gens
aimés. Son plus beau cadeau à lui serait que les combats s’arrêtent,
au moins pour quelques heures, en signe de trêve.
Oui, c’était pour cela qu’il avait envie de se transformer
en Père-Noël, pour apporter un peu de joie et de gaieté autour
de lui, pour quelques instants, peut-être aussi pour l’éternité.
Car dans son petit cœur de gamin de huit ans, il était persuadé
que personne ne pouvait être insensible à la symbolique de Noël,
à tout ce que cela représentait, l’imaginaire, l’espérance,
et cette conviction que tous les rêves pouvaient se réaliser un
jour.
C’était cela, la magie de Noël.
Rassuré, Duo sentait maintenant que ses pensées commençaient
à s’embrouiller et que ses paupières se fermaient toutes
seules sous l’effet de sa trop grande fatigue.
Le petit garçon ferma donc les yeux et s’endormit enfin, plein
d’espoir et de rêves merveilleux ...
A
: Au temps du clair de la Terre, tu as bien compris,
Tous les guerriers de la Terre devraient bien comprendre aussi.
Que Noël c'était rien qu'un peu de paix,
Et face à tous les méchants rien qu'un tout petit enfant.
-
Le lendemain matin, j’ai été réveillé à
l’aube par des cris effroyables. Je me suis immédiatement précipité
dans l’église pour voir ce que c’était, sans même
penser à enfiler mon costume de Père-Noël comme j’avais
prévu de le faire. Le bâtiment était plein de combattants,
blessés pour la plupart. D’autres étaient réunis
dans un coin, parlant de détruire une base de l’Alliance, et ils
pensaient que trouver un Mobile Suit leur suffirait pour accomplir leur projet.
Le Père Maxwell puis Sœur Helen ont essayé de les raisonner,
mais en vain. Moi, j’étais dans un coin, et je ne comprenais pas
vraiment ce qu’il était en train de se passer. Je me disais juste
que c’était le jour de Noël et que tout le monde aurait dû
être heureux en cette fête particulière… Ce n’est
que quand les soldats ont commencé à s’en prendre physiquement
aux deux religieux que j’ai vraiment réagi. Je me suis précipité
vers eux et je leur ai annoncé que j’allais dérober un appareil
pour eux, à condition qu’ils quittent ce havre de paix qu’était
cette église. Puis je suis parti en courant sans même écouter
les supplications de Sœur Helen. J’étais tellement en colère,
tellement désespéré que je ne sais même plus comment
j’ai réussi à pénétrer dans la base ni voler
ce robot … Tout ce dont je me souviens, c’est qu’en retournant
à l’église, j’ai trouvé l’édifice
en cendres. Le Père Maxwell était mort, et Sœur Helen s’est
éteinte dans mes bras …
Duo ne put continuer,
sa voix brisée par l’émotion s’étouffa dans
un sanglot et des larmes trop longtemps retenues coulèrent sur ses joues.
Sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, il avait tout au long
de son récit serré de plus en plus fort les doigts de son compagnon,
qui n’avait pourtant même pas songé à les retirer.
Au contraire, celui-ci avait accentué encore un peu plus sa pression
et posé son autre main sur la sienne, la caressant doucement pour bien
lui faire sentir sa présence réconfortante.
- Je suis désolé,
Duo, tu ne m’avais jamais parlé de cette histoire et je ne savais
pas ce qu’il s’était passé, murmura Trowa d’un
ton désolé. Si je l’avais su, je n’aurai pas autant
insisté pour que tu me le racontes. Je ne voulais pas te faire pleurer,
pardon …
Il avait l’air
sincèrement navré en prononçant ces paroles, et la clarté
de la lune faisait briller ses yeux humides de larmes eux-aussi. Cela émut
beaucoup Duo qui secoua la tête.
- Non, ce n’est
rien, tu ne pouvais pas savoir. C’est de ma faute, j’aurai dû
t’en parler avant … Mais … Je n’ai jamais pu trouver
le courage de le faire … A chaque fois que j’ai essayé, je
n’y suis jamais arrivé, parce que … Parce que ça me
rappelait trop de mauvais souvenirs, c’était trop dur …
- Je comprends, ne t’inquiète pas … Je comprends aussi maintenant
pourquoi Noël est une fête tellement importante pour toi, ajouta
t-il, songeur.
Un profond silence
s’installa entre eux, chacun semblant plongé dans d’obscures
pensées, la tête basse et les yeux perdus dans le vague.
Ce fut Duo qui reprit la parole le premier, mais c’était plutôt
comme s’il se parlait à lui-même, à mi-voix.
- Mon monde s’est
totalement écroulé ce jour-là, avec la destruction de cette
église et la mort de ces deux êtres qui avaient été
si bons pour moi. Ils représentaient ma seule famille et ils sont morts
à cause de moi. Oui, c’était entièrement de ma faute,
répéta t-il en sentant le sursaut réprobateur de son ami.
L’Alliance a détruit l’édifice et tué tous
ses occupants parce que je leur avait volé ce Mobile Suit. Si je n’avais
pas agi aussi inconsidérément, rien de tout cela ne se serait
probablement jamais produit. Donc j’estime que je suis le seul responsable
de cette tragédie. Mais j’avais presque réussi à
oublier cette histoire au fil des ans, ou du moins à atténuer
un peu cet horrible souvenir. Et la première fois que j’ai enfin
fêté ce Noël jusque là interdit pour moi, la première
fois que j’ai découvert ce que représentait réellement
cette célébration, entouré d’amis et de proches …
C’est comme si une nouvelle vie avait commencé pour moi, faite
d’espérance, d’amitié et … d’amour …
Duo appuya cette dernière
phrase d’une douce pression sur les doigts de son compagnon qui lui rendit
son étreinte tout aussi tendrement.
- Mais la mort de
Quatre l’an passé a ravivé tous ces souvenirs douloureux.
Car j’ai eu le sentiment terrible que c’était encore de ma
faute, parce que j’avais tellement envie que nous soyons à nouveau
tous réunis pour Noël ... Si je n’avais pas autant tenu à
cette fête, peut-être que Quatre serait encore en vie …
Sa voix se
brisa à nouveau sous le coup de l’émotion et des remords.
- Non, Duo, tu n’y
es pour rien. C’est le destin, injuste et cruel, mais seulement le destin
… Ou si tu veux absolument accuser quelqu’un, alors c’est
moi que tu dois blâmer, parce que c’est moi qui ai organisé
cette fête, et c’est en venant chez moi que Quatre a perdu la vie
…
- Trowa ! Ne dis pas ça ! Tu n’y es pour rien … toi non plus
… Tu as raison, c’est le destin, seulement le destin qui s’amuse
à nous jouer des tours détestables lorsque l’on s’y
attend le moins. Et c’est pour ça que maintenant j’ai peur.
J’ai peur que ce fragile équilibre que j’ai eu tant de mal
à construire ne soit qu’illusion … J’ai peur que mon
monde ne s’écroule à nouveau à chaque Noël,
comme il s’est déjà écroulé par deux fois.
J’ai surtout peur … que toi aussi tu disparaisses, peur que tu m’abandonnes
comme tous les gens que j’ai aimés et qui sont morts à cause
de moi…. J’ai peur … de me retrouver à nouveau tout
seul …
Il y avait tant de
douleur et tant de tristesse dans sa voix que Trowa en fut bouleversé.
Il passa un bras autour de l’épaule de son amant et le serra très
fort contre sa poitrine, comme s’il voulait ne plus jamais le laisser
partir, comme s’il voulait le retenir contre lui pour l’éternité.
Duo passa à son tour ses bras autour du corps de son compagnon et appuya
sa tête contre le torse si chaleureux, puis il s’abandonna totalement
à cette étreinte réconfortante, pleurant toutes les larmes
de son corps.
Ils restèrent ainsi un très long moment, tendrement unis, profitant
de cet instant de communion intense qui ne se produit que très rarement.
Au loin, un clocher commença à sonner le premier des douze coups
de minuit.
Trowa caressa alors doucement les cheveux de son ami et murmura à son
oreille :
- Joyeux Noël,
Duo !
Celui-ci leva la tête
et lui répondit par un tendre baiser, dans lequel il mit tout son amour
et toute sa reconnaissance.
Trowa le lui rendit passionnément, et ils roulèrent sur le lit,
amoureusement enlacés.
Peu importaient finalement les lendemains incertains et angoissants, ils étaient
bien décidés à profiter de cette fête de Noël
qui représentait tant pour eux.
Car le Père-Noël leur avait apporté les plus beaux des cadeaux,
la paix, l’espérance, et surtout l’amour.
A + E : Que Noël c'était rien qu'un peu
de paix,
Et face à tous les méchants rien qu'un tout petit enfant.
FIN